SALT WOUNDS I CAN’T HEAL [PV]

Dis, Maman. Tu penses à moi, de temps en temps ?
Je le sais qu’elle ne m’entend pas. Je le sais qu’elle ne me voit pas alors que mon fantôme danse autour de sa peau que le vent a souvent charrié. Elle a des balafres plein le dos, ma mère ; mais, étrangement, sa posture est celle d’une reine. Elle est belle, ma mère. Un peu singulière avec ses blessures sur la chair, et des poils soigneusement peignés pour les cacher. Ses lèvres sont fermées, légèrement pincées. Elle a l’air en colère. Elle vole aux pimbêches ce côté revêche qu’on leur connaît par cœur — Elle en veut au monde entier de ressentir des choses à nouveau, et cherche le meilleur moyen de tout enterrer une seconde fois.
C’est plus simple, l’indifférence.
C’est plus simple, le masque de fer.

Dis, Maman. Est-ce qu’il y a encore une chose en laquelle tu crois ?
Je suis persuadée que non. Je peux le deviner sans même entrer dans sa tête et lire ses pensées. Elle le hurle haut et fort dans sa manière de marcher. C’est chaloupé et nonchalant, sans but et sans destination. C’est le propre de ceux qui n’ont plus rien à perdre et qui n’ont pas de Dieu à prier le soir venu. Elle se contente de déambuler, ma mère. Elle est belle, ma mère, dans sa façon de errer. Ses yeux suivent les courbes hasardeuses du paysage. Elle n’en a pas vu beaucoup depuis son voyage forcé d’un monde à l’autre — Sûrement parce qu’elle n’essaye pas de trouver le bout de celui-là. Elle a déjà assez usé ses pieds en courant sur le précédent, à la poursuite de ses amours perdus ou dans l’idée de fuir ceux qu’elle a laissé dans son dos.

Je n’ai jamais voulu la hanter, moi. Mes frères et sœurs non plus. Nous, on a seulement regardé Maman alors que le vent la déposait un peu n’importe où. Nous, on a sincèrement espéré que son cœur se réveillerait à nouveau. Nous, on lui a toujours souhaité le mieux.
Mais ce message-là, ma mère ne l’entend pas. Elle s’est retirée du cours de la vie, et foule maintenant la rive des « Presque-Morts » que l’on ne voit pas et dont on ne connaît même plus le nom en regardant de l’autre côté avec jalousie. Elle a oublié, ma mère, comment on retourne là où séjournent brièvement les vivants.
Elle a zappé comment on tisse les liens incassables que la mort n’explosent pas complètement.

Alors que ses pensées sont pleines de regrets et de remords — Notamment ceux de nous avoir laissé sous la tutelle de nos oncles alors qu’ils avaient tous un gros grain au cerveau — une proie lui passe sous le nez. Elle a une odeur alléchante, des relents troublants qui appelle la prédatrice en elle mais qui (paradoxalement) lui file la nausée.
Un peu peinée, son âme de chasseresse visiblement scandalisée, ma mère lui permet de se tirer d’un coup d’ailes. L’oiseau s’échappe et ses yeux en perdent la trace une fois qu’il a sauté loin dans le ciel.

Et je sens son cœur qui se serre.